mercredi 6 juin 2012

Diego, pour les intimes



Oui, c’est bizarre. La ville qui accueille notre dernière représentation africaine porte un nom qui fait plutôt penser à nos balbutiements colombiens. Nous ne sommes pas à Pablo Escobar, ou à Ramon Perez, mais bien à Diego Suarez.

« Diego », pour les intimes.

Alors pourquoi cette ville malgache se prénomme-t’elle ainsi. ? Nous on sait, mais on ne va pas vous mâcher tout le travail quand notre ami google peut le faire aussi.

Une dernière, c’est toujours plein de nostalgie, de fébrilité, de sursauts dans la marge. Comme un dernier enjeu avant d’être désincarnés. Comme un dernier frisson avant l’éternité. Last exit to...

Mais remontons le temps qui lui-même ne se laisse pas démonter.

Arrivée à Diego ( non, on ne dit pas « chez » ) : de la boue sur nos bottes, des cernes dans nos valises, des cheveux plein la tête. Nous n’avons pas eu le temps de regarder passer le temps. Il y a trois mois, nous quittâmes Paname avec des tonnes d’illusions sur l’Afrique, et nous avions vingt ans.

Aujourd’hui nous irions bien au coiffeur ( là, on dit «chez ») mais c’est la fête des mères. Et nous avons cent ans. L’Afrique, ou plutôt les Afriques, nous ont livré une infime partie de leur secret, nous avons frôlé racisme vaudou et fêtes expatriées, mendiants et prophètes, sable et ciment, goudrons et nicotine, girafes et pollution. Et comme nous, le spectacle est plus vieux.


Il faudra laisser décanter nos souvenirs pour qu’ils trouvent une nouvelle jeunesse dans la prochaine version de Mondial Cabaret. Nos prochains numéros prendront-ils le chemin du Kuduru angolais, du voile islamique, du masque zimbabwéen ? Rendez-vous à Paris ( c’est un scoop ), bientôt, pour le découvrir.

Ce que nous savons, c’est que ce voyage nous aura remués, secoués, bouleversés, mélangés, et qu’il faudra remettre tout ça en ordre, des pieds à la tête, de fond en comble. Démêler les Afriques. Identifier le rôle et l’influence de chaque étape. Car Kigali n’a pas plus en commun avec Sal que Sartrouville avec Phnom Penh. Et le Bénin ressemble autant à la Namibie que Demis Roussos à Christophe Maé.

Nous rêvons. Boulevards de l’inconscient qui travaille et nous renvoie inlassablement dans les salles d’embarquement que nous venons à peine de quitter. Rêves de passeports qu’on tamponne, rêves de Pierre Mauroy qui porterait nos excédents bagages, rêves de nos chers disparus qui sont encore vivants, rêves d’amphithéâtres renumérotés, de pluies sèches, de tes cheveux mouillés au sortir de la douche, d’une prostituée portant la burka islamique, rêve d’une dictature enchantée, rêve d’un adolescent qui nous remet un tract de Marine le Pen au milieu d’une rue de Bangui, rêve d’une jeune italienne fumant la pipe, rêves de joie et de peines, et de tes mains sur mon épaule, où toutes les Afriques se mélangent en un seul concerto flou, où les repères s’en vont, où l’on se perd et se retrouvera, peut-être. Un jour, bientôt, demain ?


Nous marchons. Avenues de la coloniale Diego Suarez, assoupie dans la chaleur entre midi et trois, tourbillonnante après le crépuscule, musicale et sentimentale.

C’est bon de terminer la tournée ici, avec Bruno Duparc, un homme intelligent, drôle, et humain. Qui aime son métier et ses semblables. Il nous a accueillis avec générosité et évidence. Cette dernière étape, comme quelques autres, est un enchantement fluide et simple. Malgré la fatigue dans les pattes, malgré la chaleur, malgré nos cent ans et la douleur persistante d’un coccyx depuis un mois fêlé. Simple comme bonjour. Joyeux comme pas deux. Doux comme l’amour.

Mais c’est fini. Nous rentrons à Tananarive, dans le 46e avion de ce périple de plus de 12 semaines. Comme on s’ennuie, on trace au stylo l’itinéraire sur la carte. Ça ressemble à ça, à quoi la logique est manifestement étrangère :


Puis, comme on s’ennuie encore, on commence à avoir faim. On pense à la gastronomie africaine, dont nous avons pu expérimenter quelques facettes. Nous avons parfois mangé ça, et c’était bon.


Nous avons beaucoup plus souvent mangé ça ( 47 avions = 47 repas comme ça, sic ) et ça nous a permis de maigrir un peu.







Et puis de temps en temps nous avons mangé ça (28 représentations=28 repas comme ça, sauf que souvent c’était moins joliment présenté, moins copieux, moins bon, moins propre et avec moins d’ordinateurs derrière ):


Puis, comme on s’ennuie toujours, on se remémore quelques images de cette équipée sauvage : la découverte de l’Afrique à Pointe-Noire, qui sembla être tout ce qu’on imaginait et bien plus encore, et puis le triomphe de Harare, l’émotion de Mindelo, la surprise de Kigali, la folie de Nairobi, l’humanité d’Arusha, le charme de Windhoek, nos artistes invités, les accidents, les désespoirs, les belles victoires et les cruelles désillusions. Des sourires et des larmes alternent sur nos visages.

Il y a eu de magnifiques rencontres et de cruelles confrontations ( beaucoup moins ), quelques hommes et quelques femmes que nous allons sans doute recroiser sur notre chemin. Et d’autres, des centaines, que nous ne reverrons plus jamais. La seule chose que nous avons pu leur offrir est ce spectacle, dont on espère qu’ils garderont de beaux moments dans leurs mémoires.

Car nous passons, éphémères marchands de souvenirs, athlètes jaunissant, vies cornées. Nous passons quand il faudrait rester, nous effleurons quand il faudrait comprendre. Brefs comme la vie, éternels comme l’attente. Il nous faudrait des millions d’existences encore pour appréhender ces Afriques. Mais nous passons. Resteront les pierres, les vallées, les herbes folles et ce que nous aurons semé.

Je regarde mes mains, qui ont écrit ce blog. Ampoules, piqûres, tâches et cicatrices. Je rentre chez moi, pour tenter de me souvenir que ces mains qui écrivent sont aussi des mains qui caressent. Qui peuvent dire, et qui peuvent toucher.

Un jour, bientôt, demain, nous repartirons, mais d’ici là, je rêve que ces traces numériques, froides et fugaces, continuent de faire écho aux sentiments qui les ont nourries, afin que nous ne passions pas comme des fantômes ou des illusions, mais comme des complices, des amis, des relais.

Nous allons, passeurs et vagabonds, témoins et messagers.

Des messagers fragiles, à la vision parcellaire, des témoins naïfs et pleins de contradictions, des voyageurs inquiets et des passeurs d’incertitudes.

Mais ce dont nous sommes conscients, c’est que plus jamais nous ne revivrons une aventure comme celle-là. Et que nous avons changé.

Pour le meilleur ? Qui sait ?


mardi 5 juin 2012

Artiste invitée : Marie Le Cam



Une belle surprise nous attendait à Madagascar, dans la ville de Majunga, où l’accueil et le spectacle nous ont permis de panser rapidement nos plaies ( bien ouvertes récemment ).

Presque par hasard, nous y avons retrouvé une amie, qui se trouve être aussi une actrice hors du commun. Une comédienne reconnue qui n’a pas hésité lorsque nous lui avons proposé une petite participation amicale dans le spectacle ( n'insiste pas Marie, tu n'auras pas un centime ).

Elle nous a fait l’honneur de nous accompagner pour un numéro que nous avons créé avec elle, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Et qui nous a autant régalés que le public ultra chaleureux de Majunga ( Guillaumette en tête ).

Et même, on a pris une claque ( surtout Olivier ).

C'était une vraie joie de partager ce moment sur scène avec quelqu’un qu’on aime beaucoup, beaucoup ( beaucoup ).

Merci du fond du coeur, Marie, pour ta générosité.

Total eclipse of the heart


Alors que nos cœurs douloureux s’apaisent dans l’écho d’un slow guimauve eighties – et que nos esprits post-adolescents dégoulinent d’émotion en rementalisant le portrait de Bonnie Tyler - interprète à la divine vocalité rauque mais qui a dû partager son styliste avec bon nombre de stars du porno d’antan - juste une image pour dire la façon dont nous avons été reçus à Antananarivo:



Et même pas envie d’en parler.

Tournée africaine 2012


17 mars – Institut Français - Pointe Noire – Congo Brazzaville

20 mars – Reps Theater - Harare – Zimbabwe

22 mars - Ecole Communautaire - Lusaka - Zambie

23 mars – Alliance française - Lusaka – Zambie

27 mars – Cinéma Asa - Sal - Cap Vert

29 mars – Centre Culturel de Mindelo - Cap Vert


31 mars – Cinéma Praia – Institut français, Praia - Cap Vert

4 avril – Institut français - Abidjan – Côte d’Ivoire

6 avril – Institut français - Saint-Louis – Sénégal

11 avril – Club libanais - Kumasi – Ghana

13 avril – Alliance française – Accra - Ghana

17 avril – Cinéma Roma - Asmara – Erythrée


20 avril – Institut français - Lomé – Togo

25 avril – Institut français - Cotonou – Bénin

28 avril –  Alliance française - Bangui – Centrafrique

2 mai – Kirisagawa - Institut français, Kigali – Rwanda

4 mai – Alliance française - Nairobi – Kenya

5 mai – Haller Park - Mombasa – Kenya


8 mai – Ile d'Anjouan - Mutsamudu – Comores

10 mai – Ile de Moheli - Fomboni – Comores

12 mai – Grande Comore - Moroni – Comores

16 mai – Alliance française - Dar es Salaam – Tanzanie

19 mai – Alliance française - Arusha – Tanzanie


23 mai – Playhouse theather -  FNCC - Windhoek – Namibie

26 mai – Chà de Caxinde - Luanda – Angola

30 mai – Alliance française - Tananarive – Madagascar

1 juin – Alliance française - Majunga – Madagascar

4 juin – Alliance française - Diego Suarez - Madagascar

Faites comme Loiseau


Hommage ému à celle qui nous a accompagnés sans faillir dans ce marasme invivable qu’est Luanda.

Au-delà de sa grâce, de son intelligence et de sa sensibilité, Jennie Loiseau nous a enchantés : efficacité, rigueur, professionnalisme, disponibilité, discrétion, humilité, clairvoyance, égalité d’humeur, et beaucoup, beaucoup de choses à raconter !


Elle fait partie de ces rencontres qui rendent les choses simples et légères. Elle pourrait en apprendre beaucoup à ceux qui accueillent des spectacles dans leurs lieux. Nous lui devons la réussite de notre passage à Luanda.
Alors nous prions pour que tout continue comme ça, dans la simplicité et l’évidence, et avons hâte, vous aussi, de vous rencontrer et de partager avec vous.

Mais si vous voulez voir des artistes vraiment heureux, un petit secret: faites comme Loiseau.

lundi 4 juin 2012

La ville la plus chère du monde


Une pizza à 50 dollars ? Tout de suite, monsieur.

Une chambre d’hôtel (9m2) avec vue sur la misère en tôle ondulée ? 500 dollars.

Un Gin-Tonic ? 25€.

Bon alors plus simple, parce qu’on est au bord de la mer, une tranche de poisson grillé et du riz dans un bouiboui ? Allez, on vous la fait à 25 dollars.

C’est sympa, mais je vais plutôt reprendre un lexomil.

Bienvenue en Angola, capitale Luanda, la ville la plus chère du monde. Parce qu’en Angola, il y a du pétrole et des diamants.

D'abord, il faut savoir qu'on a failli ne jamais y arriver. Pas de visas, de grosses galères administratives, mais finalement, à l'aéroport, les douaniers ont été très diligents. Du coup on les a pris en photo en pleine action.

Alors c’est comment la ville la plus chère du monde ? On ne sait pas très bien, parce qu’au niveau paysage urbain ça ressemble à s’y méprendre à la ville la plus pauvre du monde, avec quelques bijouteries en plus.

Quant aux exemples tarifaires qu’on vous donne, on a voulu rester raisonnables : nous ne sommes pas allés dans la partie de la ville où sortent les expatriés, parce là, c’est plus cher.


Le spectacle s’est déroulé sans galère majeure, dans un grand théâtre un peu délabré. Mais comme on était dans la ville la plus chère du monde, on a multiplié par 20 le prix des places du billet d’entrée. Pas bêtes.

Dommage de s’être basés sur le tarif d’Arusha, et qu’à Arusha c’ait été gratuit. Du coup ça n’a rien changé. Apparemment les gens étaient contents. On leur a fait l’humour au même prix qu’ailleurs, ça a dû leur faire bizarre de se sentir normaux.

Mais en dehors du spectacle, nous avons vécu une ville tendue ( forcément ), où tout semble difficile, la circulation, la communication, l’acceptation de l’autre. Une atmosphère à vous donner des rêves de condominiums.

Le soir, on nous a quand même indiqué une boîte sympa, l’Elinga, où nous avons pu observer la faune locale : arty et surlookée, façon Berlin nineties, ou Bastille quand c’était encore vaguement authentique. L’espace est sympa, expos, DJ, scène de théâtre, on a bien aimé.

On s’est demandés, en revanche, ce qui poussait les gens à s’expatrier dans cet endroit invivable. On a bien une idée, mais recommencer à parler d’argent, ce ne serait pas un peu vulgaire ?


dimanche 3 juin 2012

Artiste invitée: Elisa Tamisier


En plus d'enchanter nos journées à Windhoek et d'avoir pris les photos de notre ballade ci-dessous,  Elisa a aussi géré avec brio la régie technique de notre spectacle. Et dans sa belle générosité pluridisciplinaire, Elisa danse.
C'était donc notre première régisseuse-danseuse.
Du haut de ses vingt printemps, Elisa sait tout faire. Respect!

samedi 2 juin 2012

Giscard sur la bouche


Je te vois, ami lecteur, affichant une moue mi-dégoût mi-scepticisme à la découverte de ce titre énigmatique.

Pour ta gouverne, nous sommes à Windhoek, capitale de la Namibie, tel Valéry Giscard d’Estaing, qui lui n’y fait pas un spectacle mais va dégommer du pachyderme à la carabine, comme apparemment tous les ans. On espère le croiser pour lui dire tout le bien qu’on pense de ça. Et à Windhoek, ancienne colonie allemande dont l’urbanisme est orné d’artères telles « FranzShubertstrasse » mais aussi «Robert Mugabe Avenue », on s’embrasse sur la bouche. En famille, entre amis, entre hommes et entre femmes. Surtout quand on ne s’est pas vu depuis longtemps et qu’on est trèsheureux de se revoir. Ça fait tellement plaisir de revoir tante Greta, mais c’est vrai qu’elle pique un peu. Festival de smacks assurés dans les aéroports. Mais on ne met pas la langue. Ou alors c’est qu’on s’aime vraiment beaucoup.


Voilà pour une coutume locale qui risque de te surprendre, ami lecteur, si tu débarques de bon matin à Windhoek. Nous, nous sommes arrivés en début d’après-midi, et comme nous n’avions jamais mis les pieds en Namibie, on n’a pas eu l’occasion de retrouver quelqu’un qu’on aimait beaucoup ( même si on finira pas en quitter quelques-uns qu’on continuera d’aimer énormément ) et, donc, nous nous serrâmes la main avec juste ce qu’il faut de poigne chaste et modérée.

Windhoek est blond. Surtout dans le centre. Il y a des grands magasins pour la pêche et le camping, des centres commerciaux comme on n’en a pas vus depuis Vélizy 2 dans les années 80, et un quartier plein de baraques en tôles ondulées, où tout à coup Windhoek est beaucoup moins blond.

Tradition allemande oblige, nous donnerons le spectacle dans une ancienne fabrique de bière, et en habit traditionnel du Tyrol.


Le public est à l’image du breuvage jadis brassé : blond. Et aussi à l’image de notre continent : vieux. Surtout les premiers arrivants, car le spectacle est complet, et qu’on n’a plus 20 ans quand on craint de se retrouver sans place assise par une fraîche soirée d’automne dans un hangar industriel. Au final, nous réunirons toutes les tranches d’âge, et toutes les couleurs de peau, qui ne s’embrassèrent pas sur la bouche, parce qu’il ne faut pas rêver non plus, mais rirent de concert pendant une heure trente, parce que, quand même, ils sont à se pisser dessus ces petits Franzosen. C’est d’ailleurs pour éviter ce type de déconvenues incontinentes que nombre de spectateurs circulèrent allègrement entre la salle et les commodités, séparées par une lourde porte qui grinçait comme une blague de Marcel Proust. Ou plutôt Gaspard (Proust), qui longtemps s’est levé de bonne heure mais nous laisse maintenant seuls à le faire.


Nous avons beaucoup aimé Windhoek, le spectacle, les gens, la douceur de vivre, les brochettes de Kudu, faire un feu de bois au bord d’un lac, caresser la corne d’un rhinocéros blanc, boire du vin sud-africain, avoir un peu froid, cuisiner un tartare de saumon, danser et rire, faire des photos, acheter une polaire, et beaucoup de choses qui font la saveur de la vie de tous les jours, qu’on avait trop souvent perdues de vue à force d’aller de plateaux de théâtre en salles d’embarquement, et là, pour un peu, on se serait sentis renaître. Et blonds.

Merci Pauline, Luc, Elisa, Caroline, Cédric pour ces superbes souvenirs, gentillesse, générosité, partage, éclats de rire, tendresse, bonté, talent, inspiration, humanité. Nous n’exagérons rien en écrivant que vous êtes inoubliables.

D’ailleurs nous n’exagérons rien, jamais.

A part peut-être l’histoire sur les costumes tyroliens.