lundi 14 septembre 2009

Partir, c’est mourir un peu…mais mourir, c’est partir beaucoup. (Alphonse Allais )



A nouveau sur le départ, avec en travers de la gorge le lamento des micro-séparations qui fendent l’âme et embuent les iris. Nous aurions vite fait de nous complaire dans le cérémonial mélancolique des adieux réitérés, après chaque représentation, chaque rencontre, chaque sourire échangé.

Comme après la soirée donnée jeudi au théâtre de l’alliance française de Medellin. Comme, le lendemain, en sortant de notre spectacle au Patio del Tango, restaurant sur le déclin qui ressuscite de toutes ses forces, chaque soir, le mythe Carlos Gardel, mort ici en 1935, dans un crash aérien.

Gardel est mort, mais le tango qui s’est écrasé dans ses valises calcinées est bien vivant. Dans les faubourgs de Medellin, dans les quartiers Antioquia ou Manrique, la plainte argentine des bandonéons accompagnent les couples qui s’enlacent.


Ainsi va la Colombie, entre la vie et la mort, terre de fête et de meurtres, avec son peuple de larmes et de percussions, noble et strident, toujours sur le fil. Depuis notre arrivée, nous avons côtoyé les réalités les plus crues et les rêves les plus funambules. Purs et rageurs. La crasse et le paradis.

Nous l’avons connue vibrante, explosive, exaltée, cette vie qui ne tient qu’à un fil. Car combien ces gens qui dansent ont-ils embrassé de cadavres? Combien d’amis le conflit armé leur a-t-il arrachés? Combien de membres de leur famille, de connaissances, d’anciennes conquêtes sont encore séquestrés dans la jungle opaque? Combien attendent silencieusement que leurs plaies se referment?

Lors d’une interview pour un journal local, la journaliste, qui s’occupait aussi des faits divers, devait d’interrompre régulièrement pour réceptionner des photos de disparus ou d’assassinés. De temps en temps, un commentaire: "celui-là, c’est un cousin"..."elle, je la connaissais…"

A Medellin, le taux de criminalité dans les quartiers populaires a explosé. La ville recense, pour les premiers six mois de l’année 2009, autant d’assassinats que pour toute l’année précédente. Signe que les miracles de la politique gouvernementale ont peut-être des laissés-pour-compte.

Reste à savoir pourquoi malgré tout ça, chaque départ nous donne l’impression d’être arrachés au paradis. Peut-être parce que partir, c’est mourir un peu.

Peut-être parce qu'ici, mourir un peu, et pas plus, ce n’est pas donné à tout le monde.