Avez-vous déjà pénétré dans un théâtre désert, lustres éteints, sièges vides, à l’heure où flottent les esprits silencieux des bravos oubliés ? Avez-vous senti les fantômes des acteurs, des musiciens, des techniciens, des ouvreuses, des chanteurs, des machinistes, des danseurs vous frôler de leurs ailes glacées?
Au Centre Culturel Français d’Abidjan, où nous jouons dans l’espace provisoirement aménagé pour recevoir des expositions _ et accessoirement notre spectacle éclairé par trois gamelles aux trépieds titubants - il existe un lieu comme ceux-là, un espace où se perdre, dans le parfum moisi des actes disparus. Il suffit de pousser la porte, et ils sont tous là : les spectacles passés, et ceux qui ne verront jamais le jour, les liesses potentielles et les bides inconnus. Perdus dans le purgatoire d’un espace en instance.
La salle du Centre Culturel Français, qui fut la plus belle salle de spectacle d’Afrique de l’Ouest, est désormais fermée au public, sur ordre d’architectes français qui lui réservent une nouvelle vie, dit-on, un jour, peut-être. Comme on écroule le mythique Olympia pour en faire une contrefaçon déjà moribonde quelques mètres plus loin, les bureaucrates parisiens redessineront cet espace à des normes hexagonales, sans se soucier de ce qui disparaitra dans cette refonte totale. Une âme.
En attendant l’aboutissement du projet, nous jouons dans un espace improbable, à cinq mètres de la porte d’entrée qui ouvre sur ces escaliers interminables, comme autant de spectres poussiéreux qui vous accompagnent jusqu’à ce plateau gigantesque, où semblent encore résonner les lazzi d’artistes disparus.
Après le spectacle, nous sommes descendus sur ce plateau, pour voir si le ciel, comme l’avaient prédit les ronds-de-cuir parisiens, nous tomberait sur la tête. Cela n’arriva point. Mais en regardant depuis la scène presque intacte cette immense salle vide, nous vint soudain l’envie poétique, mystique, de regarder une dernière fois le monde qui s’éteint, de sortir de scène pour la dernière fois, et de disparaitre à jamais entre deux rideaux noirs. Sans un adieu.